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70 ans après les accords de Bretton Woods, quel rôle pour le Fonds Monétaire International ?

Les accords de Bretton Woods instituaient un véritable « système » monétaire international dont le FMI était le rouage central. Dans la finance mondialisée d’aujourd’hui, les modes de régulation sont multiples et complexes. Les grandes banques centrales tendent à lui préférer les relations bilatérales.
Par Christophe Destais
 Billet du 15 avril 2014


Le Fonds Monétaire International  (FMI) s’apprête à célébrer les 70 ans des accords de Bretton Woods de juillet 1944 qui l’ont créé. Ces accords lui confiaient deux missions essentielles : surveiller les économies de ses Etats-membres et intervenir en cas de difficultés sur les paiements extérieurs, dans le cadre d’un système de change quasi-fixe et d’une très faible ouverture financière.

Le FMI a connu depuis de nombreuses vicissitudes dont il s’est sorti : remis en cause par le flottement des changes généralisés dans les années 70, il s’est réinventé gestionnaire de la crise de la dette des pays en développement dans les années 80, chantre du néo-libéralisme au tournant des années 90 (le fameux « consensus de Washington ») et acteur central –avec les Etats-Unis- de la gestion des grandes crises émergentes entre 1995 et 2001 (Mexique, Brésil, Asie, Russie, Argentine, Turquie…).

Malgré ces crises, la finance s’est mondialisée à un rythme effréné du début des années 2000 à la crise. L’encours en dollars de la totalité des financements transnationaux a, par exemple, triplé entre 2001 et 2007. Cette année là,  alors que toute dette trouvait son investisseur, l’encours du FMI était tombé lui à 20 milliards de dollars et on s’interrogeait sur sa raison d’être.

Pas pour longtemps, car la crise est venue rappeler à quel point un prêteur mondial en dernier ressort peut être nécessaire.

Le FMI a réagi en développant le caractère préventif de ses facilités financières et augmenté ses ressources en empruntant à ses Etats-Membres. A partir de 2010, la zone Euro a été heureuse de le trouver pour partager le fardeau du financement des pays périphériques.

Cette intervention était néanmoins assez contre intuitive. Le rôle traditionnel du FMI est de prêter des liquidités internationales (pour l’essentiel des dollars) à des pays qui ne disposent pas de la possibilité de les créer. Or, dans le cas de la zone Euro, c’étaient d’euros dont les pays périphériques avaient besoin et leur banque centrale, la BCE, avait le pouvoir d’en créer. Qu’elle n’ait pas souhaité le faire aurait pu être considéré comme une question interne. De plus, le soutien à la Grèce avant que celle-ci ne restructure une dette manifestement insoutenable contrevenait aux principes de prudence du Fonds.

Avec la décision de soutenir l’Ukraine, le Fonds a tout récemment montré qu’il n’avait pas cessé d’être pertinent, notamment comme catalyseur de financements bilatéraux, un rôle qu’il joue depuis plusieurs décennies.

Toutefois, la question de sa place centrale dans la régulation de la finance mondiale est de nouveau posée.

Il continue d’exercer une fonction d’analyse des politiques macro-économiques et d’échange entre les décideurs qui n’est guère contestée. Toutefois, il n’en a pas le monopole. Il existe d’autres forums, moins universels, comme l’OCDE, la Banque des Règlements Internationaux (BRI) voire le G20, où de tels échanges se produisent. La multiplication des réunions et des rapports favorise le débat mais aussi la dispersion des ressources.

Sur les questions de stabilité financière, devenue cruciales, le FMI dispose de compétences mais l’essentiel du travail de coordination des acteurs nationaux et internationaux, de la définition de standards internationaux dépend d’institutions qui sont dans le giron de la BRI : le comité de Bâle pour les banques et, surtout, le Conseil de Stabilité Financière.

Le FMI est aussi handicapé par sa taille très limitée au regard de la finance globalisée. Sa principale ressource est constituée des sommes qu’investissent les Etats-membres, les « quote-parts ». Ces investissements sont complétés par des emprunts ponctuels aux plus riches des Etats-membres. Le FMI ne peut ni créer de la monnaie, comme les banques centrales, ni se financer sur les marchés comme les banques commerciales ou les banques de développement, en particulier la Banque Mondiale, créée en même temps que lui.

En 2010, à Séoul, les pays du G20 avaient décidé de doubler les ressources apportées par les Etats-membres sous forme de « quotes-parts », les faisant passer de 300 à 600 milliards de dollars. Or, les Etats-Unis refusent de ratifier cette augmentation qui serait également accompagnée d’un accroissement -modeste - du rôle des pays émergents dans la gouvernance du Fonds et suivi d’une réforme du mode de calcul des quotas. Ce refus leur vaut des rappels récurrents des ministres des finances du G20 dont le dernier, les 10 et 11 avril 2014, est particulièrement solennel, impérieux voire menaçant. Toutefois, quand bien même  cette augmentation aurait lieu, le montant des ressources du Fonds resterait relativement modeste au regard des volumes en jeu quand les pays en crise ne sont plus des pays en développement ou intermédiaires faiblement insérés dans la mondialisation. Par exemple, la dette extérieure de la seule Turquie s’élève à près de 400 milliards de dollars. Le total du bilan du groupe BNP-Paribas est de 1800 milliards d’euros soit environ 2350 milliards de dollars.

Or, d’autres sources de financement ont émergé plus importantes et, surtout, plus flexibles.

Pendant la crise, la Réserve Fédérale américaine a ainsi mobilisé en quelques jours ce même montant de 600 milliards de dollars, dans le cadre de contrats de « swap » avec les grandes banques centrales des pays industrialisés mais aussi de certains pays émergents. Ces fonds ont été immédiatement prêtés par les banques centrales bénéficiaires aux banques commerciales qui n’arrivaient plus à se financer en dollars. Un accord a rendu permanent ces « swaps » entre les cinq principales banques centrales des pays industrialisés, à la fin du mois d’octobre dernier, sans aucune intervention parlementaire. La FED s’est donc érigée en principal prêteur international en dernier ressort. Son intervention a été d’autant plus efficace qu’elle était adaptée à une forme nouvelle de crise liée à la globalisation financière. Il ne s’agissait plus de gérer un déficit extérieur essentiellement associé à une crise de la dette publique mais d’éviter qu’une crise de liquidité sur le dollar, utilisé comme monnaie internationale, ne dégénère.

Les réserves de change conçues comme une auto-assurance contre le risque après la crise asiatique de 1997-1998 ont vu leur volume multiplié par cinq entre 2001 et 2011. Elles dépassent maintenant 11 000 milliards de dollars, 34 fois plus que les ressources permanentes actuelles du FMI. Il est vrai que cette accumulation est pour l’essentiel le fait de la Chine et des pays exportateurs de matières premières.

Le FMI est aussi confronté, mais dans une moindre mesure, à la concurrence d’accords monétaires régionaux. Le plus significatif est celui que les asiatiques ont mis en place après la crise de la fin des années 90 et qui, depuis son renforcement en 2009  (Chiang Mai Initiative Multilateralization) se rapproche d’un petit FMI régional. Il en existe aussi en Europe, entre la Russie et certains de ses voisins, dans le monde arabe, en Amérique du Sud.

Les accords de Bretton Woods instituaient un véritable « système » monétaire international dont le FMI était le rouage central. Dans la finance mondialisée d’aujourd’hui, les modes de régulation sont multiples et complexes. La question de la régulation financière lui échappe en grande partie et les grandes banques centrales –que la crise a décomplexées-  tendent à lui préférer les relations bilatérales.

Politique économique 
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